30 octobre 2018
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Cet arbre non résineux est méconnu et pourtant il est doté d’une forte personnalité. C'est un champion de longévité, bois très dur mais flexible, suc mortel et médicament salvateur. Notre conifère sans cône cumule les paradoxes qui auraient du en faire une star du monde végétal.
Dans les zones sous influence Celte (Bretagne, Normandie, Irlande, etc,) ce petit arbre – guère plus de 20 m de haut – a même servi, ici et là, de cercueil vivant. En vieillissant, son tronc se creuse, libérant une cavité qui fut utilisée pour abriter le dernier repos d’un homme de premier rang de la communauté. Il existe une bonne raison qui explique ce statut d’arbre sacré accordé à l’if. Les Celtes voyaient en lui le seul végétal capable de réunir l’ensemble du peuple des ancêtres disparus. Ses racines mettant en relation les défunts et le cosmos, par l’intermédiaire des rameaux cette fois. Assurant une continuité de vie aux hommes, sous une forme éthérée cette fois.
Un arc réalisé à partir d'if[/caption]
À la fois souple, élastique et résistant, il constitue depuis le fin fond du néolithique (depuis 8000 av. J.-C. jusqu’à l’apparition de l’écriture) la matière idéale pour la fabrication des arcs de chasse ou de guerre. Oetzi, l’homme retrouvé emprisonné dans les glaces des montagnes du Tyrol depuis cinq millénaires, portait un arc en if.
La demande de bois d’if était telle que de nombreuses régions d’Europe en devinrent dépourvues, particulièrement à la période du Moyen Âge, tant les abattages furent systématiques. L’exemple des guerres opposant les Anglais et les Français illustre bien l’ampleur du phénomène. Lors de la bataille de Crécy, en 1346, les Anglais stupéfièrent les Français, démunis face à la considérable avancée technologique des archers du camp opposé. Les français, trois fois plus nombreux que leurs ennemis et pourtant armés d’arbalètes, furent décimés. Selon les annales de l’époque, 7000 anglais, embusqués à près de 200 m, pouvaient lâcher une nuée de 100 000 flèches à la minute. Inutile de préciser que la déroute des français fut totale.
Les décennies puis les siècles les ont travaillés de l’intérieur, aboutissant à la formation d’un veinage aussi noueux, bossu et serpentant que celui d’un gros bout de marine à voile. En France, c’est en Bretagne et en Normandie que se trouvent les plus beaux et vieux spécimens. Deux ifs, qui poursuivent leur vie dans le cimetière de la Haye-de-Routot, dans l’Eure, affichent respectivement 14 m et 15 m de circonférence pour un âge probable de 1300 et 1500 ans.
La capacité de cette essence à défier le temps (avec le chêne et le châtaignier ) tient à sa capacité de régénération... par l’intérieur et l’extérieur. Ce double phénomène se traduit ainsi : l’if est apte, tout au long de sa vie, à donner naissance à des bourgeons dormants qui s’éveillent au moment propice et se transforment en de jeunes rameaux, afin de permettre un rajeunissement extérieur par la base. Par ailleurs, lorsque son tronc s’est creusé avec les siècles, l’if est l’un des rares à produire des racines aériennes qui, progressivement, descendent le long de cette paroi interne, jusqu’à toucher terre où elles s’enracinent, prolongeant la vie de l’arbre (presque) indéfiniment.
Le suc d'if peut être très toxique[/caption]
La célébrité du Taxus baccata est aussi due à deux propriétés d’ordre bio-chimique. Et non des moindres. En premier lieu toutes ses cellules, tissus et organes sont imprégnés d’un alcaloïde très toxique, la taxine... à l’exception de l’enveloppe charnue de la graine, rouge vif et fort appétissante. Cette pulpe sucrée est la seule matière de l’if qui soit ingérable sans dommage par l’homme. Certains en font même une confiture délicieuse, tant qu’il ne s’y trouve pas le moindre débris de graine. Revenons à la taxine. Connue de longue date, il est monnaie courante pour les Celtes et Gaulois d’en enduire la pointe de leurs flèches de suc d’if (additionné à des substances aujourd'hui inconnues), ce qui augmentait le pouvoir létal de leurs projectiles.
Cette espèce étant hautement vénéneuse pour les humains, chevaux, ânes, mulets, etc, il devint logique de la consacrer aux divinités de la mort. C’est aussi la raison qui explique sa présence dans nos cimetières, puisqu’en outre ses sombres aiguilles ne tombent pas en automne, contrairement aux arbres indigènes de nombreuses régions du pays : il symbolise la vie éternelle. La face lumineuse de l’if se trouve encore dans sa matière, sous la forme de taxanes, cette fois. Tout d’abord, en 1963, les effets bénéfiques d’extraits d’écorce sur des leucémies et tumeurs sont mis en évidence. À partir de 1983 des savants français découvrent que les feuilles aussi sont capable de synthétiser la taxane. Les laboratoires se chargeront de la dernière partie du travail. Ainsi l’if, dédié à la protection des morts par nos lointains ancêtres, devient aujourd'hui le sauveur des vivants.
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30 octobre 2018
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